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Photo du rédacteurEva Mifsud

Les draps de nos grands-mères

Ce sont elles qui en avaient cette lourde charge.

À les rendre à leur pureté.

De lavoirs en lessiveuses, sous la brosse énergique, le lin épais est passé de mains en mains, de muscles en muscles, d’efforts en efforts.

S'est alourdi à l’humidité, a craqué sous la chaleur du soleil.

A été reprisé.

A été repassé.

Plié mille fois déjà.

Rangé bien au propre. Au carré. À la lavande.

A épongé des fièvres, du sang, de la sueur.

A réchauffé des corps, des âmes, des ardeurs, des silences, des rêves.

A enveloppé des naissances et des morts.

A protégé des meubles de l’absence, a attendu des corps partis.

A été froissé, sali, et blanchi à nouveau.

Ces draps ressortent aujourd’hui avec leurs histoires effacées, emprisonnées, bien serrées dans leurs fibres, leurs noeuds.

Ressortis des armoires.

Redécouverts comme des trésors.

Dépliés.

Puis : découpés et s’apprêtant à vivre une nouvelle histoire.

Les voilà étendus au soleil, avant d’être enduits, et tendus sur un châssis. Bientôt recevoir le gesso. Bientôt s’ouvriront au pinceau. À la couleur. À la pâte. À une nouvelle écriture.

Bientôt un tableau qui partira s’accrocher sur un mur.

Ici. Là. Ailleurs.

Un écho de nos grands-mères.

Un souvenir d’elles coincé dans le maillage.

Héritage sinueux qui conduit à aujourd’hui.

Hommage timide.

Pensée pudique.


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